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Compte rendu d’exposition: Nicolas-Guy Brenet, la première rétrospective (Douai)

Nicolas-Guy Brenet, un peintre du roi à Douai au XVIIIe siècle

Douai, Musée de la Chartreuse, 19 mars – 23 juin 2025 

L’exposition présentée au musée de la Chartreuse de Douai marque un jalon important dans la redécouverte de la carrière de Nicolas-Guy Brenet (1728-1792), figure méconnue du renouveau de la peinture d’histoire dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Intitulée Nicolas-Guy Brenet, un peintre du roi à Douai au XVIIIe siècle, cette manifestation s’inscrit dans la continuité des travaux menés par Marie Fournier, docteur en histoire de l’art, dont la thèse a été publiée en 2023 aux éditions Arthena (avec une préface du Pr Christine Gouzi). Le commissariat scientifique de l’exposition, assuré conjointement par Marie Fournier et Pierre Bonnaure, actuel directeur du musée (sur le point de rejoindre l’INHA), est le fruit d’un patient travail de coordination et de recherche.

Le choix de Douai comme lieu d’accueil de cette première rétrospective s’impose avec évidence. En 1768, Brenet reçut deux commandes prestigieuses dans la ville. Ces oeuvres sont toujours in situ mais elles n’ont pas été intégrées au parcours de visite. Le retable pour la chapelle du Dôme de la collégiale Saint-Pierre, représentant le Triomphe de la Vierge, est aisé à voir (fig. 1); en revanche, le cycle allégorique de six tableaux (Justice, Religion, Prudence, Force, Étude, et Vérité) pour la grand’chambre du parlement de Flandre, aujourd’hui dans les locaux de la Cour d’appel de Douai, est difficile d’accès. À noter que le musée a acquis en 2023 le Portrait de Marie-Claire-Charlotte Herts, dont le mari fut président à mortier au parlement de Flandre (fig. 2). Cet étonnant portrait en costume orientalisant (dans la famille du modèle depuis le XVIIIe siècle) témoigne du séjour de Brenet à Douai ; son entrée dans les collections du musée vient renforcer le lien entre l’artiste et la ville.

Sous les voûtes de la salle capitulaire du musée, autrefois occupées par les Chartreux, sont présentées 42 œuvres, choisies parmi un corpus d’environ deux cents peintures et dessins attribués à Brenet. Diversifiée sur le plan matériel (dessins, esquisses, tableaux achevés) et iconographique (peintures d’histoire, portraits), cette sélection offre un aperçu d’ensemble de la production de l’artiste, marquée par les grands courants artistiques et intellectuels de la fin de l’Ancien Régime. Compte tenu de l’espace disponible, les commissaires ont fait le choix de privilégier les petits formats – en particulier de remarquables esquisses, comme celle préparatoire aux Honneurs rendus à Du Guesclin (fig. 3) –, ce qui permet un accrochage aéré et lisible. Autre intérêt de l’exposition de Douai: elle permet exceptionnellement de voir une dizaine d’œuvres issues de collections particulières.

La scénographie de l’exposition se distingue par son élégante simplicité : le parcours, structuré en trois sections chrono-thématiques, offre une progression limpide, depuis la formation académique de l’artiste jusqu’aux grandes commandes royales de la fin de l’Ancien Régime. Le choix d’une cimaise bleu pastel confère une douce unité visuelle à l’espace, baigné d’une lumière naturelle maîtrisée, sans jamais atténuer la force expressive des œuvres (fig. 4). Les textes de salle, clairs et concis, dialoguent avec les cartels (qui ne mentionnent pas les dimensions des œuvres) et avec un livret numérique (qui ne reproduit pas les œuvres) téléchargeable librement sur le site du musée (https://www.museedelachartreuse.fr/laissez-vous-guider).

L’intérêt majeur de cette première rétrospective consacrée à Brenet réside dans le renouvellement du regard porté sur l’artiste, longtemps perçu comme un académicien assez traditionnel dans son approche plastique. En complément de cette perception, l’exposition montre que l’artiste fut un acteur important du mouvement de régénération de la peinture d’histoire au XVIIIe siècle.

Formé par Coypel, Boucher et Vanloo, Brenet fut agréé à l’Académie royale en 1762, avant d’y être reçu en 1769 avec le morceau Aethra montrant à Thésée les armes de son père (les Beaux-Arts de Paris n’ont malheureusement pu prêter ce tableau). Ses premières commandes religieuses – La Fuite en Égypte pour Bayonne, Saint François de Sales, Saint Sébastien – témoignent d’une peinture de grand décor, à la fois narrative, édifiante et virtuose. Mais c’est surtout à partir des années 1770, grâce à la politique du comte d’Angiviller, que l’artiste accéda à une forme de reconnaissance officielle : les œuvres commandées pour l’École militaire, l’église Saint-Jacques de Compiègne ou encore la série des exempla virtutis (Du Guesclin, Scipion, Cressinus, Bayard…) participèrent pleinement du projet monarchique d’une peinture morale, nationale et exemplaire qui – au rebours de celle de David – se distingue par l’animation de ses compositions et la fraîcheur de ses coloris. À l’issue de ce parcours où affleure la sensibilité tantôt baroque tantôt classique de l’artiste, La Courtoisie de Bayard révèle même des accents précocement « troubadours » qui annoncent les inflexions sentimentales du XIXe siècle (fig. 5).

Par cette exposition, Douai attire l’attention sur un peintre actif à Paris mais dont les liens avec la ville furent multiples : outre les commandes locales auxquelles Brenet répondit, il fut un enseignant influent à Paris pour des élèves douaisiens et un artiste inspirant pour des artistes locaux comme Pierre-Henry Lesieur.

On pourrait regretter que l’exposition n’approfondisse pas davantage le contexte parisien dans lequel évolua Brenet. Ses relations avec d’autres peintres d’histoire (les Lagrenée, Doyen, Suvée…), sa place au sein de l’Académie royale, son enseignement – près de 150 élèves ! – ou encore la réception critique de ses œuvres au Salon auraient enrichi la compréhension de l’artiste. Mais cette limite est partiellement compensée par des événements associés, comme la conférence du 15 mai 2025 (salles d’Anchin rue Fortier), au cours de laquelle la commissaire abordera plus directement la carrière académique de l’artiste.

L’exposition de Douai illustre ce que peut être une démarche exemplaire en histoire de l’art : fondée sur une thèse monographique, prolongée par l’établissement d’un catalogue raisonné, la recherche scientifique s’incarne enfin dans une exposition qui rend l’œuvre accessible à un public élargi tout en posant les bases d’un dialogue savant. Une telle entreprise, qui engage à la fois la rigueur de la recherche et le courage de l’exposition publique, témoigne d’une réelle maturité scientifique. Elle suppose aussi une forme de générosité tant les efforts requis – en matière de repérage des œuvres, de contextualisation et de coordination logistique – sont considérables. À l’heure où l’histoire de l’art valorise à juste titre les approches transversales ou thématiques, il est salutaire de rappeler combien les grandes monographies demeurent essentielles : elles seules permettent de restituer la cohérence d’un parcours, d’en reconstituer les enjeux visuels et institutionnels, et d’en mesurer la portée.

Dr. Maël TAUZIÈDE

Fig. 1: Nicolas-Guy Brenet, Le Triomphe de la Vierge, 1768, peinture à l’huile sur toile, Douai, chapelle du Dôme de la collégiale Saint-Pierre © Ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie (objets mobiliers), tous droits réservés

Fig. 2: Nicolas-Guy Brenet, Portrait de Marie-Claire-Charlotte Herts (1748-1781), 1770, huile sur toile, 78,50 x 67 cm, Douai, Musée de la Chartreuse, inv. 2023.1 © tous droits réservés

Fig. 3: Nicolas-Guy Brenet, Jeune page éploré, étude en pieds pour Les Honneurs rendus au connétable Du Guesclin, vers 1777, huile sur toile, 65,20 x 53,50 cm, Paris, collection particulière © tous droits réservés

Fig. 4: Scénographie, vue d’une cimaise © auteur

Fig. 5: Nicolas-Guy Brenet, La Courtoisie du chevalier Bayard, 1783, hst, Paris, collection particulière © auteur


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Maël Tauziède-Espariat (12 avril 2025). Compte rendu d’exposition: Nicolas-Guy Brenet, la première rétrospective (Douai). Groupe de Recherche en Histoire de l'Art Moderne. Consulté le 12 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13quz


Maël Tauziède-Espariat

Docteur en histoire de l'art (XVe-XVIIIe siècles) Maître de conférences (UPN)

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