Compte rendu d’ouvrage : Rozemarijn Landsman, Vermeer’s Maps, New York, The Frick Collection, 2022

J. Vermeer, La Femme en bleu lisant une lettre, 1663 ca., Rijksmuseum, Amsterdam, Public Domain.

Rozemarijn Landsman fait dans son ouvrage Vermeer’s Maps une analyse tout à fait concise et synthétique des objets cartographiques représentés par le peintre Vermeer dans plusieurs de ses tableaux. Ce travail se situe à la convergence des arts et de la science cartographique, alors à son paroxysme dans les Provinces-Unies du XVIIe siècle, et qui suscite l’intérêt de nombreux artistes. Reprenant les précédents travaux de James Welu, qui consacra déjà sa thèse au sujet de la cartographie en peinture, l’autrice s’appuie sur ces derniers pour identifier quatre cartes différentes qui apparaissent dans six peintures du « sphinx de Delft ».

L’ouvrage (128 pages) est divisé en deux parties, et densément illustré d’images en couleurs (43), de petit format et en pleine page, dont la qualité permet d’apprécier les détails des cartes dont il est question dans le développement, et de constater les identifications exposées par l’autrice. La première partie du livre est consacrée à la production cartographique en Hollande au XVIIe siècle, et la seconde traite à proprement dit des cartes représentées par Vermeer. Elle est illustrée par des images de cartes, dont celles qui sont identifiées dans les œuvres de Vermeer, alors que les œuvres peintes figurent dans la seconde partie, ainsi que plusieurs œuvres contemporaines représentant également des cartes à titre de comparaison. Un appendice reprend l’ensemble des illustrations présentes dans le texte sous la forme de vignettes. 

La première partie, technique, revient sur les procédés de fabrication selon Mercator (dessin, impression, assemblage). Les Pays-Bas du nord occupant une place de plus en plus importante dans le domaine de la cartographie dès la fin du XVIe siècle, plusieurs ateliers et imprimeries de cartes sont présents dans la région et plusieurs familles en prennent le monopole : les Hondius, les Visscher ou encore les Blaeu, ces derniers travaillant pour le compte de la VOC. C’est dans la seconde partie que l’autrice s’attache à indiquer les sources cartographiques utilisées par Vermeer dans ses œuvres, en s’appuyant sur les identifications déjà faites par James Welu dans les années 1970. Nous pouvons ainsi connaître et retrouver les cartes en question, leurs auteurs et même l’édition exacte représentée par le peintre. Nous pouvons citer l’exemple de la carte de Hollande et de Frise produite par van Berckenrode, rééditée par Willem Jansz. Blaeu, qui apparaît à la fois dans la Femme en bleu et la Lecture de la lettre. La répétitivité du motif de la carte dans l’œuvre de Vermeer, mais aussi dans celui d’autres artistes contemporains, illustre le mouvement de « cartomanie » mis en avant par Théophile Thoré dans les années 1880. Les scènes de genre de Vermeer mettant en avant ces objets constituent un témoignage sur l’histoire des goûts, et de l’intérêt pour la cartographie dans les intérieurs néerlandais. 

Rozmarijn Landsman revient sur les travaux des historiens de l’art qui se sont penchés sur l’étude des cartes de Vermeer après James Welu. Bärbel Hedinger analyse ainsi le contexte sociopolitique de création de ces objets, et Svetlana Alpers consacre un chapitre à la cartographie dans The Art of Describing, insistant sur l’impact visuel des cartes sur la pratique des artistes en Hollande, et la nécessité pour ces derniers d’acquérir une bonne connaissance de l’optique. Ces travaux ne sont toutefois qu’évoqués dans l’introduction par l’autrice, qui les prend comme point de départ pour poser des questions auxquelles nous ne répondons que partiellement, sur la raison ayant poussé Vermeer à représenter ces cartes, et sur les problèmes de datation liés aux rééditions des cartes. Il est également question dans son développement d’une dimension politique dans la cartographie : nous identifiions de fait des cartes illustrant les sept provinces après l’indépendance, insistant sur la volonté du nouvel Etat de s’inscrire dans une logique nationaliste d’affirmation de son indépendance. Des cartouches sur les cartes font également référence à l’histoire du peuple antique des Bataves, à laquelle se rattache les Provinces-Unies. 

Vermeer et ses contemporains illustrent ainsi une volonté certaine de représenter une identité nationale par les cartes. Toutefois, l’œuvre de Vermeer se démarque par une attention aiguë portée aux détails, ayant permis l’identification des cartes ainsi que des globes et instruments de mesure qu’il représente. La précision avec laquelle Vermeer représente ces cartes permet également d’entrevoir l’importance particulière de la cartographie en Hollande en raison de l’omniprésence de l’eau et de l’importance de sa gestion (Waterschappen). Il est en effet possible de repérer la présence de digues et de polders sur les cartes, et les instruments de mesure présents dans les œuvres de Vermeer, comme dans L’Astronome et Le Géographe, rappellent également la pratique de l’arpentage. L’autrice donne des comparaisons avec des artistes contemporains représentant des cartes, parfois les mêmes que Vermeer, comme Willem Buytewech ou Nicolaes Maes, illustrant l’émulation suscitée par la représentation de ces objets et la précision qu’ils requièrent. L’auteur revient également sur l’analyse des pigments dans les œuvres de Vermeer, ainsi que sur les théories de la lumière et des couleurs, évoquant le contexte scientifique dans lequel il évolue à Delft, centre des travaux sur l’optique et la vision, avec la présence d’Antoni van Leeuwenhoek et d’artistes tels que Carel Fabritius. 

L’ouvrage peut donc se présenter comme une synthèse de travaux consacrés à l’œuvre de Vermeer, en particulier ceux de Gary Schwartz, James Welu et Laura Snyder, et à son intérêt pour les sciences du visuel, comme l’indique une bibliographie exhaustive réunissant des références anciennes et récentes, ainsi que des compilations de sources cartographiques. Si l’idée de l’emploi d’une camera obscura par Vermeer avancée par des auteurs tels Charles Seymour et Daniel Fink dans les années 1960 et 1970 a pu être remise en cause par Arthur Wheelock, l’autrice choisit ici de s’appuyer sur des travaux plus récents qui réaffirment cette première hypothèse. Ainsi, Martin Kemp (The Science of Art, 1990), Philip Steadman (Vermeer’s Camera, 2001), ainsi que Marlise Rijks et Huib Zuidervaart dans un article consacré aux pratiques liées à l’optique à Delft (2015), suggèrent que Vermeer ait bien pu utiliser une camera obscura, en s’appuyant sur la présence de cercles lumineux dans ses œuvres. Vermeer’s Maps s’inscrit ainsi dans la suite de précédents travaux qui questionnent les méthodes de travail du peintre, et son intérêt pour la cartographie et les dispositifs optiques et visuels.

Enola Pellegrini, doctorante en histoire de l’art moderne, Université de Lille